“C’est quoi le rugby français ?”

Photo by Sandro Schuh on Unsplash

 

Pour expliquer sa vision du jeu pour l’équipe de France de rugby, Fabien GALTHIÉ, invité du Canal Rugby Club en date du 6 septembre, a indiqué s’être posé la question au commencement de sa réflexion.

Il ajoute qu’il a construit une méthode avec son staff “sans essayer de copier les autres nations”. “La méthode que l’on a construite, c’est notre façon. On coupe à travers champ”.

Et si la stratégie de l’océan bleu inspirait dirigeants et entraîneurs de sport ?

L’océan rouge, c’est un secteur où les produits/services sont banalisés, non différenciés, au sein duquel les concurrents se déchirent. Souvent, seul le prix les départage.

En 2005, W. CHAN KIM et Renée MAUBORGNE, chercheurs au Blue Ocean Strategy Institute à l’INSEAD, créent une nouvelle stratégie : l’océan bleu.

L’océan bleu est une stratégie de rupture, qui s’appuie sur l’innovation, dans le but de ne pas se retrouver sur le même terrain que ses concurrents. Une offre originale est alors proposée : fin de la guerre des coûts, un modèle d’affaire différencié, une rentabilité augmentée.

L’un des préalables de cette stratégie est de remettre en cause le marché tel qu’il est décrit.

Les règles sont chamboulées, les conceptions traditionnelles sont totalement remises en cause.

Adaptée au sport, la stratégie de l’océan bleu interroge les projets sportifs et économiques de tous les clubs :

  • ceux de niveau mondial, qui ont tous de bons, voire de très bons joueurs. Ce qui ne leur garantit aucunement l’atteinte de la victoire finale,
  • ceux de bon niveau, plus nombreux, avec moins de ressources financières, qui briguent des titres, en tout cas des places dans les finales des grandes compétitions,
  • et ceux qui suivent de plus ou moins loin, qui s’accrochent pour rester dans le monde professionnel.

Chaque équipe a une idée de son sommet. En quoi s’inspirer de la stratégie de l’océan bleu peut-elle les aider à l’atteindre ou à le garder ? 

  • Une équipe n’est jamais une addition de talents, mais une fusion.
  • Un bon projet a besoin de temps, mais dans un délai raisonnable.
  • La confiance mutuelle n’est pas inébranlable.
  • Les méthodes reconnues sont partagées et copiées par tout le microcosme.

Dès lors, comment un club peut-il créer des ruptures pour concevoir un projet unique, son projet capable de créer une surperformance ? Cet article apporte des réponses.

Un recrutement anticonformiste

Dans le Béarn, à Pau, la section paloise de rugby a choisi Sébastien PIQUERONIES comme manager de son équipe professionnelle qui évolue en Top 14. L’homme a un beau palmarès avec l’équipe de France des moins de 20 ans. Il fait cependant exception à ce niveau en n’ayant jamais été un joueur de rugby professionnel.

Faire de l’anticonformisme n’est pas se distinguer par une personnalité plus ou moins clivante, prendre des postures rebelles en diffusant des messages de 280 caractères.

C’est la capacité à remettre en question des pratiques, des systèmes, bien identifiés et rassurants. C’est ne pas reproduire la pensée dominante.

Dominic GAGNON dans son article “Les profils atypiques, un véritable potentiel d’innovation” écrit que “un profil atypique, c’est simplement un candidat ou une candidate en dehors des normes correspondantes à un emploi donné, dans une entreprise donnée.

Les profils atypiques ont souvent une vision différente”.

On essaie de construire notre rugby, le jeu que l’on veut produire”. Sébastien PIQUERONIES parle d’un projet singulier. Il parle aussi d’un travail permanent sur l’état d’esprit.

L’esprit d’équipe sinon rien

En arrivant en 2016 à Manchester, Pep GUARDIOLA, entraîneur du club anglais de football de Manchester City, indique “qu’il veut d’abord créer un esprit d’équipe” et que “le modèle de jeu viendra après”.

Avant de choisir un plan de jeu, Pep GUARDIOLA privilégie un joueur qui accepte la réussite du groupe plutôt que sa réussite individuelle. Avant de recruter les meilleurs footballeurs du monde – son club en a les moyens – il n’oublie pas le lien existant entre les joueurs du club et s’assure que la recrue ne le rompra pas.

Ce n’est pas un problème d’organisation, mais d’état d’esprit. Il faut travailler cela dans le futur”, a récemment déclaré Mauricio Pochettino, l’entraîneur du club de football du PSG, après les difficultés rencontrées dans son match de ligue des champions contre Leipzig.

Sir Alex Ferguson, le célèbre manager du club anglais de football de Manchester United de 1986 à 2013, dit que l’essentiel est de “créer des équipes de joueurs qui se font confiance. Dans les meilleures équipes un lien profond existe”.

Fabien GALTHIE parle du chaos qu’il faut vivre ensemble.

Pep GUARDIOLA dit que le management d’une équipe n’est pas une mission linéaire. “Des erreurs seront commises en chemin, des problèmes vont émerger, des contradictions devront être résolues dans le vestiaire et sur le terrain”.

Le joueur est toujours au service de l’équipe. L’équipe compte le plus. Jamais le contraire.

Un leadership décoiffant

L’entraîneur guide l’équipe. Il exhorte à la communion au sein du groupe. Il donne le ton. Il crée l’harmonie.

Scott ROBERTSON est le patron de l’équipe des Crusaders, franchise néo-zélandaise de rugby à XV. C’est un ancien All Blacks, un des meilleurs entraîneurs du monde.

À chaque fois que son équipe gagne un titre, il se lance dans une danse de célébration.

C’est magique ! C’est la magie d’un leadership authentique, une façon d’être soi, de partager avec son équipe, de générer de la confiance.

Christophe URIOS, manager du club de rugby de l’Union Bordeaux Bègles en Top 14, parle d’alignement de ce qu’il est (et pas ce qu’il dit) avec ce qu’il fait. L’authenticité permet de régler les problèmes humains plus facilement.

L’entraîneur maîtrise les techniques de son sport, bien sûr. Mais les compétences interpersonnelles, plus difficiles à évaluer lors d’un recrutement, deviennent essentielles : une écoute en continu, une présentation claire de ses idées, une très bonne communication.

La culture du boss et le modèle pyramidal ne sont plus des réponses adaptées à la manière de diriger une équipe.

Les joueurs doivent être responsabilisés, ils doivent faire preuve d’autonomie. “Le vestiaire est ouvert, c’est vous qui venez chercher le maillot” leur dit Fabien GALTHIE.

Il prône beaucoup d’entretiens individuels avec ses joueurs. Il parle de pacte entre joueurs et staff. Si Antoine DUPONT, qui évolue au poste de demi de mêlée au Stade toulousain et en équipe de France, est désigné capitaine, c’est parce qu’il incarne le talent, la solidité, et, surtout, la loyauté avec ses partenaires et avec l’encadrement.

La victoire est juste un objectif

“Si les joueurs sont capables de partager le même esprit, il leur sera plus facile d’assimiler les principes de jeu, l’exécution sera plus efficace et donc la victoire à portée de crampons”.

Comme tous les entraîneurs, Pep GUARDIOLA ne perd pas de vue la victoire. Mais ce n’est pas une finalité absolue.

Dans le monde du football, c’est parce qu’il vise autre chose que la victoire que Pep Guardiola peut entraîner ses équipes – dans les deux sens du terme – au-delà de ses défaites, alors que c’est depuis qu’il n’incarne plus de projet fédérateur que José Mourinho est devenu un coach ordinaire.”

Invité du Canal Rugby Club, Christophe URIOS ne dit pas autre chose “Le bouclier de Brennus n’est pas une finalité”. (le Bouclier récompense l’équipe victorieuse du championnat de France de rugby à XV, le Top 14).

Pour lui, “c’est le chemin qui compte, c’est le comment on va y arriver.”. C’est aussi la progression d’un groupe qui reste sa première préoccupation.

Pour le “comment y arriver ”, Pep GUARDIOLA noircit des pages et des pages pour ne garder que quelques verbes.

Quel océan bleu pour les clubs de sport ? 

La vision d’un club et d’un groupe, les valeurs partagées constituent le socle.

Les principes de jeu, l’exécution continuellement répétée, viennent après.

Tout le club est concerné, les équipes – dirigeants, managers, encadrants sportifs, joueurs – sont alignées, raccord sur le projet.

C’est parce qu’il y a cohérence et cohésion, de la stratégie à l’exécution, que “la victoire est à portée de crampons”.

Le recrutement, l’esprit d’équipe, le leadership, sont les actifs intangibles de clubs à la recherche d’un Graal guidée par une aventure uniquement collective.

Sur un marché encombré d’ambitions, de championnats et de coupes à gagner, plus ces actifs intangibles sont consistants, pérennes, plus vous possédez des avantages concurrentiels difficilement copiables.

Il faut gagner et plaire”, dit Christophe URIOS.

Il faut rassembler et fédérer autour de l’émotion”, dit Fabien GALTHIE. Créer un océan (en) bleu. Rechercher la performance. S’appuyer sur l’innovation.

Il faut du temps aussi. Sir Alex Ferguson a dit que “la continuité et la stabilité sont la base indispensable de la réussite.”

Les entraîneurs et les joueurs passent. Même les présidents. Reste l’intangible, fragile et solide à la fois. Tous les entraîneurs cités dans cet article parlent de prudence : la dynamique peut s’inverser, rien n’est jamais acquis.

La remise en question des pratiques, des attitudes, est permanente.

Et vous, dirigeants, managers, d’organisation à but sportif, commercial ou social, lucratif ou pas, quel est votre océan bleu ? Quels sont vos actifs intangibles difficilement copiables ? Quel sens donnez-vous à votre quête ?

 

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